mardi 27 janvier 2015

« La question de la concurrence des crimes n'a pas de sens ». Claude Lanzmann


« La question de la concurrence des crimes n'a pas de sens ». Claude Lanzmann (ce matin sur France Info), ancien résistant, réalisateur du documentaire Shoah (1985) sur l'anéantissement des deux tiers des Juifs d'Europe (autrement dit 40 % des Juifs du monde).
Voilà la réponse que je cherchais à chaque fois que j'entends quelqu'un "relativiser" ce tourbillon de notre Histoire, le plus immonde que l'Humanité ait connu :
"6 millions de Juifs exterminés certes... mais et les 10 à 15 millions de morts dans les goulags ?" ou "Et le génocide des Tutsis au Rwanda ?" ou "et les Indiens d'Amérique" (Guetta ce matin sur France Inter) et, plus récemment, "Les Juifs sont victimes d'antisémitisme, mais n'oublions pas que les premières victimes de DAECH sont avant tout des Musulmans" (D. Cohn Bendit sur Europe il y a une 10aine de jours), etc. etc.
Oui il existe des horreurs et des génocides autres que celui qui a été nommé Shoah. Et il ne s'agit pas de minimiser les horreurs sous prétexte qu'elles seraient commises sur des non Juifs. Simplement, la Shoah a pu être commise grâce à des complicités collectives, notamment des gouvernements qui ont choisi de collaborer avec les nazis. Grâce à la passivité criminelle, la lâcheté, l'indifférence, dont ont fait preuve la plupart des Etats d'Europe et leurs citoyens, qui ont réagi bien tard.
Qui a envie de faire face à cette réalité ? Personne... Dissonnance cognitive là encore. Trop dur de voir la réalité en face, d'assumer notre part de responsabilité. Nous, générations qui n'avons pas connu la guerre, devons transmettre cette mémoire que nos parents et grands-parents nous ont eux-même transmise.
Alors, il est plus facile d'essayer de "banaliser" l'anti-sémitisme en comparant les génocides, en essayant de minimiser la Shoah en comptant le nombre des morts de chaque génocide. Pour autant, tous les crimes contre l'humanité sont condamnables et aucun mort ne vaut plus ou moins qu'un autre.
Attention de ne pas faire le lit de l'antisémitisme en confondant critique légitime du sionisme et de la politique menée par le gouvernement israélien à l'encontre des Palestiniens ou en faisant l'amalgame entre le peuple israélien et la politique menée par son pays comparée à celle de l'Allemagne d'Hitler, comme tant osent le faire. Une façon plus ou moins consciente de nous dédouaner du passé si on laisse entendre qu'Israël fait aux autres ce que les nazis lui ont fait...
Non, n'oublions pas que "Shoah", qui signifie anéantissement, cataclysme, catastrophe, ruine, désolation en hébreu, ne peut être placé sur une échelle comptable pour la bonne raison que rien d'aussi systématique et érigé en système politique, en système d'Etat, pour éradiquer/anéantir totalement une population, n'avait jusqu'alors été "inventé" dans l'Histoire.
Un acte sans précédent.
Et cela, la mémoire collective n'a pas le droit de l'oublier.
Non, pas le droit de le minimiser ou de relativiser, parce que la bête immonde rôde toujours... et l'oublier c'est prendre le risque de répéter les mêmes erreurs.

Par Véronique Anger-de Friberg (27/01/2015 à l’occasion du 70ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz).